Collapsologie & Effondrement


La collapsologie est « l'exercice transdisciplinaire d'étude de l'effondrement de notre civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder, en s'appuyant sur les deux modes cognitifs que sont la raison et l'intuition et sur des travaux scientifiques reconnus » (Servigne & Stevens, 2015). http://www.collapsologie.fr/

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Collapsologie et légende du colibri
La légende du colibri ne dit pas que la goutte d'eau va éteindre le feu dans la forêt. Ni même que le colibri pense que ses gouttes d'eau vont éteindre le feu. Car le feu est déjà allumé et intense. La légende ne raconte pas non plus que si tous les animaux faisaient leur part cela permettrait d'éteindre le feu.
Une interprétation possible serait la suivante :
Face à l'annonce de l'effondrement du monde :
- une des solutions pour retrouver un équilibre est de nier cette possibilité, c'est le choix d'une majorité de la population.
- une autre solution pour retrouver un équilibre est de se mettre en action : et face à l'immensité du problème et du changement et face à mes habitudes de fonctionnement (où je peux avoir tendance à nier ma responsabilité) la légende du colibri peut m'aider à me mettre en action ... avec un geste, aussi infime qu'il soit. Bien sur que ce n'est pas suffisant. Et en même temps ce "petit geste" peut en appeler, peut-être, plus tard, un autre. Et en même temps ce "petit" geste (la goutte d'eau) peut commencer à me faire entrer dans l'action, et sortir de mon déni de responsabilité. Mon déni de responsabilité est que je perçois un problème, crise climatique ou fin du pétrole ou impossibilité d'une croissance sans fin, et que je me sente impuissant face à l'immensité du problème. La goutte d'eau peut aider à sortir de la posture qui consiste à dire que je suis impuissant.

Je peux choisir de prendre conscience de la réalité de l'effondrement à venir. Je vois que je peux m'engager dans un changement de vie pour organiser une sécurité alimentaire et une sécurité émotionnelle en créant du lien et en commençant maintenant ces changements.



Question-réponses

Effondrement

Le texte ci-dessous a été rédigé par un groupe de travail du mouvement national des Colibris.

Quelles sont les parties de la société qui peuvent s'effondrer ?

Potentiellement toutes celles qui consomment en abondance des ressources qui risquent de disparaître, ou tout du moins de se raréfier : climat tempéré, EAU, équilibres financiers, pétrole, gaz, ressources halieutiques, abeilles et autres insectes pollinisateurs, logement, emploi, santé, transports, engrais dérivés du pétrole...

Est-ce que tout va s'effondrer d'un seul coup ?

Pour un système extrêmement complexe comme notre société, ce n'est pas un effondrement unique qui pourrait se produire, mais une multitudes d'effondrements, répartis dans le temps et l'espace, et de natures diverses : financière, énergétique, climatique, alimentaire, sociale et sanitaire, éducative et morale, conflits armés...
Ce que nous appelons effondrement n'est donc pas un événement unique, soudain et définitif. C'est plutôt un processus complexe étalé dans le temps et l'espace, mais qui pourrait se généraliser à l'issue de conjonctions d'interférences systémiques.

L'effondrement signifie-t-il la disparition de l'humanité ?

À moins d'un scénario radical (comme un conflit nucléaire), l'espèce humaine devrait parvenir à s'adapter et à survivre. Mais les pertes humaines atteindront une proportion jamais vue, par le cumul des épidémies, des famines et des conflits armés. Et les survivants connaîtront des conditions et espérances de vie probablement comparables à celles des pays actuels de l'Afrique subsaharienne.

Jusqu'où une civilisation peut-elle s'effondrer ?

Potentiellement jusqu'à sa disparition, ce qui ne veut pas dire la disparition de l'humanité. Plus une civilisation épuise des ressources qui lui sont nécessaires pour perdurer, plus sa chute est brutale et durable, et par conséquent plus grand est le risque qu'elle n'y résiste pas : prospérité, ordre social, niveau sanitaire, espérance de vie, niveau de vie, taille de la population, etc.

En évoquant l'effondrement, ne risque t-on pas la prophétie auto-réalisatrice ?

C'est une question plus complexe qu'il n'y paraît, car si l'on a bien envie de répondre par la négative au vu de la définition de l'effondrement donnée plus haut, cela appelle quelques nuances et remarques.
Sur les phénomènes d'effondrement de systèmes par sur-exploitation, le fait d'en prendre conscience et d'en parler ne risque pas de provoquer une auto-réalisation,. C'est plutôt le contraire, car ce n'est qu'en prenant conscience d'un danger que l'on peut prendre les mesures pour s'en prémunir à temps !
Par exemple, tous nos discours (ou silence) ne vont pas accélérer l'effondrement des ressources halieutiques : seule une modification de notre comportement peut l'éviter !
En ce qui concerne le moral des personnes auxquelles on en parle, il s'agit d'être très prudent, car tout le monde ne va pas réagir de la même façon à ce type de discours, selon l'histoire de chacun, sa position de parent ou de célibataire, son âge, son activité, son moral du moment, etc.
On touche ici à la psychologie humaine, et à la capacité de résilience de chacun(e), variable selon les personnes et les moments : l'effondrement psychologique (burn-out) existe aussi, et tout le monde n'est pas forcément prêt à recevoir ce type d'information avec la dose de détachement souhaitable.

Transition et effondrement sont-ils compatibles ?

Au sens où ils peuvent survenir en même temps, on peut dire qu'ils sont compatibles : l'un n'exclut pas l'autre. En revanche il est certainement utile de s'interroger sur la nature de la transition si l'on estime que des risques d'effondrements sont réels et à relativement court terme.
En effet, les priorités risquent fort d'être à reconsidérer : autonomie alimentaire et énergétique plutôt que construction de pistes cyclables (quel intérêt d'avoir des pistes cyclables si les routes sont dégagées ?) ; ou bien monnaies locales plutôt que lutte contre la pollution (une monnaie locale est un élément important de résilience à l'échelle locale, et la pollution va diminuer drastiquement avec l'effet fortement récessif de l'effondrement de certains pans de l'activité).
Si l'on se demande ce que le risque d'effondrement apporte ou change à la transition, on peut répondre par deux mots : intensité et urgence, d'où la nécessité de reconsidérer nos priorités et nos plannings !

Finalement, à quoi cela va nous servir de parler d'effondrement ?

Principalement à identifier ces risques et leurs causes, afin d'anticiper les choix et arbitrages : que devons-nous faire croître et que devons-nous faire décroître pour amortir au mieux les changements qui s'annoncent ? Et en situation d'urgence, ce simple réajustement quantitatif deviendra inopérant : il faudra envisager des changements plus radicaux.
Accessoirement en parler servira à tenter de convaincre ceux qui ne se sentent pas concernés à ce jour !

Parler d'effondrement, n'est-ce-pas risquer de privilégier une écologie punitive plutôt qu'une écologie de rêve ?

Cet antagonisme a déjà fait couler beaucoup d'encre, mais si l'on est persuadé de l'imminence d'un tel risque, ne faut-il considérer d'agir sur les deux tableaux : alerter sur les conséquences de l'inaction ET faire rêver avec le récit d'une civilisation plus durable et plus heureuse, basée sur le partage, le respect, la solidarité et la bienveillance ? Notre préférence pour une écologie de rêve ne doit pas faire oublier que l'expression écologie punitive a été inventée et est invoquée par ceux qui ne veulent rien changer. Cette expression culpabilisante permet d'enterrer le principe du pollueur-payeur. N'inversons pas les rôles : lorsque le pollueur n'est pas puni, c'est le pollué qui l'est. Alors que bien pensée, une mesure incitative est toujours bénéfique. Sur ce sujet entre autres, réécouter l'analyse de l'astrophysicien Aurélien Barrau (cf. Ressources), avec sa référence au contrat social et au rôle du politique, sa proposition de changement radical.

Pourquoi parler d'effondrement alors que l'homme a toujours trouvé des solutions aux problèmes rencontrés ?

Rien ne prouve qu'une série de réussites garantisse l'impossibilité de l'échec (cf. Le cygne noir-la puissance de l'imprévisible de Nassim Nicholas Taleb : l'absence de preuve n'est pas la preuve de l'absence !). D'autre part, ces réussites ont été validées dans le cadre d'études menées a posteriori par les historiens, et elles concernent l'humanité dans sa globalité conceptuelle. Mais pour les humains réels qui sont confrontés aux problèmes à court terme, c'est une autre affaire : la recherche de solutions se fera au prix de lourds dégâts collatéraux, et pour les survivants elle sera douloureuse. La recherche de solutions sera soumise à l'urgence, aux conséquences et à l'ampleur d'effondrements sans commune mesure avec ce qu'a connu l'humanité jusqu'ici. Nous pouvons alors nous demander quelle sera la nature des solutions, alors que la technologie sera probablement difficile d'accès, tandis que les ressources et l'énergie se raréfieront. Les solutions collectives (opposées aux solutions survivalistes) sont encore à imaginer.

Résilience

Positionnement des Colibris

Y a-t-il une incohérence entre le discours de Cyril Dion et celui des Colibris ?

Il y a différentes manières d'aborder le sujet de l'effondrement. Cyril l'a abordé initialement avec le film Demain sous l'angle des solutions à mettre en place. Il l'aborde aujourd'hui par l'analyse des causes. De plus, Cyril adapte son discours à l'urgence qui se renforce. Les deux discours ne sont pas foncièrement antagonistes.
L'objet des Colibris est de faciliter l'émergence des solutions. Celles-ci se positionnent à court, moyen et long terme. C'est un choix à opérer en connaissance des difficultés et de l'urgence.

Que peuvent apporter les Colibris en fonction de la prise de conscience de chacun ?

Face à l'effondrement, chacun peut se retrouver dans les étapes décrites dans le schéma ci-dessous. Les observations montrent qu'on se déplace sur la courbe, en avant ou en arrière en cherchant à accepter la situation, ce qui permet de se mettre en action.

Les Colibris accueillent chacun, quel que soit son niveau de conscience sur l'effondrement, et cherchent à inspirer, relier et soutenir tous ceux qui souhaitent se mettre en action.



Vocabulaire

Notre objectif prioritaire consiste à envisager la posture et le discours des Colibris sur la question de l'effondrement. Mais quelle terminologie employer, effondrement est-il le mot adapté, et quel concept cherche-t-on à évoquer ? Faire l'économie de cette étape nous exposerait à trop de difficultés de compréhension et de cohérence du discours, à l'intérieur comme à l'extérieur des Colibris.

1. Quelques essais de définitions
- Laurent cite la définition d'Yves Cochet : « Processus à l'issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à un coût raisonnable à une majorité de la population par des services encadrés par la loi durant plus d'un an ». Selon cette définition très politico- économique beaucoup d'habitants de la planète sont déjà en situation d'effondrement sur un ou plusieurs des besoins de base.
- Définition scientifique de l'effondrement vu par la physique : un système s'effondre à la suite d'une situation de déséquilibre persistant. Cette définition a l'avantage de la caution scientifique, factuelle et objective.
- A noter aussi la dégradation systémique des institutions qui structurent une société : politique, sociale, environnementale, éducative, juridique, alimentaire, économique, énergétique, etc.
- L'effondrement simultané de tous ces systèmes, équivaudrait à un chaos, à la disparition de l'humanité, à un discours de catastrophisme.
- Il n'y a pas un effondrement, chacun de ces systèmes est à un stade différent d'effondrement. Et nous n'avons pas
conscience de l'état d'effondrement de certains de ces systèmes, parce qu'ils sont éloignés de nous par la géographie, par nos sujets de
préoccupations ou par le degré de couverture médiatique dont il font plus ou moins l'objet. Il cite deux exemples d'effondrements aujourd'hui avérés : l'exode climatique déjà réel pour plusieurs populations, et la disparition totale de la forêt primaire évoquée par Francis Hallé.
- Cette approche plurielle de l'effondrement semble une bonne base de départ pour les Colibris.

2. Le concept étant à peu près circonscrit, quels termes pourraient lui convenir ?
- Effondrement. Affaissement, destruction totale. En géologie : désolidarisation d'une grande structure.
Inventaire des termes de sens voisins.
- Affaissement. Utilisé en géologie pour les terrains. Sens trop faible.
- Anéantissement. Destruction totale = retour au néant. Sens trop fort.
- Bouleversement. Changement, mutation. Sens assez fort, mais moins destructeur que l'effondrement, et lié à une action plus
brève/brutale, moins progressive.
- Chute. Utilisé pour la fin des civilisations (chute des empires), mais aussi en économie pour la perte brusque de valeur, et au sens moral (Albert Camus). Sens trop vague et prosaïque.
- Déclin. Plus subtil que la chute, évoque la décadence progressive des civilisations, avant leur fin. Terme déjà associé au "déclinisme", posture d'analystes politico-sociale éloignés de notre mouvement. Aussi utilisé en sciences économiques (dernière étape du cycle de vie des produits, avant le recyclage). Proche du sens recherché.
- Décadence. Déclin, commencement de ruine. Ajoute une connotation morale. Moins forte que l'effondrement, elle est surtout temporellement antérieure,
- Décomposition. Action de décomposer en éléments de base (chimie). Pourriture d'une substance organique. Décomposition d'un
problème pour faciliter sa résolution. Proche du sens recherché.
- Dégradation. Délabrement, passage progressif à un état plus mauvais. La dégradation n'est qu'une tendance, trop faible pour le sens
recherché.
- Désagrégation. Séparation de ce qui est agrégé ou composé. Destruction de ce qui constituait un ensemble. Malgré l'expression de
désagrégation du lien social ce n'est pas vraiment le sens recherché.
- Destruction. Action de faire disparaître, par une démolition volontaire et programmée. On s'écarte donc du sens recherché, à moins d'estimer que l'ultralibéralisme est délibérément suicidaire...
- Déstructuration. Décomposition de la structure, du squelette qui tient et relie. Le concept pose une question intéressante : alors que la chute d'une construction matérielle est généralement due à la rupture de ses structures, la chute d'une civilisation peut aussi provenir d'une gangrène partant des extrémités avant de gagner le coeur.
- Dislocation. Séparation des parties d'un ensemble, démembrement. S'emploie en médecine (pour le squelette), et en politique pour les groupes humains de toutes tailles, d'un couple jusqu'aux institutions internationales. Des dislocations peuvent générer un effondrement, ou l'accompagner, ou en résulter et l'aggraver en cascade. Ce terme est donc un des plus adaptés aux phénomènes complexes associables à un effondrement.
- Disparition. Souvent sans trace ni explication (disparition de personne ou d'objet). Donc éloignée du sens recherché, même si
l'expression en voie de disparition est employée pour les espèces animales ou végétales.
- Dissolution. Signifie l'absorption d'un composant par un autre, auquel il s'assimile jusqu'à ne plus s'en distinguer (chimie), très loin du sens recherché. S'applique aussi dans le domaine moral (des moeurs dissolues) et pour un contrat (rupture).
- Écroulement. Cité comme premier synonyme d'effondrement, et voisin de : affaissement, destruction totale, anéantissement, ruine.
- Effritement. Signe d'affaiblissement progressif. Trop faible pour le sens recherché.
- Émiettement. Idem effritement.
- Érosion. Plus fort que les deux termes précédents : usure lente, dégradation progressive, désagrégation. Utilisé aussi pour les marges
commerciales et le pouvoir d'achat. Convient plutôt à un stade préalable à l'effondrement.
- Evanouissement. Perte de conscience, mais aussi anéantissement et annulation. Aucun signe d'affaissement progressif, donc sens inadapté.
- Extinction. Disparition, généralement d'une espèce. Et aussi extinction de voix, des feux. Comparable à disparition ou à fin, donc
éloigné du sens recherché.
- Faillite. Situation d'un débiteur qui ne peut plus payer ses dettes. Échec complet. Proche de ruine, mais pour une étape plus finale et
encore plus orienté économie : sens trop fort.
- Fin. Sens inadapté : évoque un état terminal, pas une évolution en cours.
- Naufrage. Couler comme un navire : catastrophe trop rapide pour évoquer l'effondrement.
- Ruine. Perte, faillite, destruction. Ruiner = ravager, détruire, dévaster, causer la perte. Utilisé dans le bâtiment (tomber en, être en) et
économie : menacer de...., se ruiner, perdre ses biens, dépenser à l'excès. Sens assez adéquat, bien que plus avancé.
- Pour finir, le terme latin collapsus (recyclé en collapse par les anglophones) signifie tombé en un seul bloc : c'est assez éloigné de la dégradation progressive et disparate que nous envisageons...

3. Conclusion provisoire
Il n'est pas évident pour notre mouvement de décider tout seul que le terme d'effondrement déjà solidement implanté devrait être remplacé par un nouveau mot, même plus pertinent. En revanche notre communication peut tirer profit de la réflexion menée
sur la terminologie associée à l'effondrement. Par exemple en insistant sur l'approche plurielle évoquée au premier paragraphe : pluralité des systèmes structurant la société et qui sont à des degrés divers de dégradation ; puis pluralité des processus de dégradation, qui
peuvent être analysés avec précision en s'appuyant sur le lexique des 25 termes énumérés dans le deuxième paragraphe.
Cette démarche nous aiderait à prendre de la distance avec les pensées schématiques trop présentes en période de doute...

Qu'est-ce-que c'est ?

Effondrement

Définition générique
Un effondrement est une réaction d'un système placé en état de déséquilibre sur une trop grande période, et qui s'adapte pour retrouver un état d'équilibre : être vivant, sol, bâtiment, système financier, système halieutique, etc.

Exemple
Une population d'insectes se développant à vitesse exponentielle sur un territoire aux ressources en nourriture limitée va inévitablement voir sa population s'effondrer à un moment, afin de retrouver un état d'équilibre entre taille de la population et ressources.

Mais encore ?
On peut également dire que tout système qui affiche une évolution en croissance continue (surtout si elle est exponentielle), connaîtra un jour ou l'autre un effondrement : système financier, pyramide de Ponzi, accroissement de la population, consommation de ressources quelles qu'elles soient...
Pour un système extrêmement complexe comme notre société, ce n'est pas un effondrement unique qui risque de se produire, mais une multitudes d'effondrements, répartis dans le temps et l'espace, et de nature et de stades divers : financier, énergétique, écologique, alimentaire, des ressources, d'ordre social et sanitaire, conflits armés... On peut également parler d'effondrement intérieur dans le cas d'effondrement d'ordre social, éducatif, moral, religieux ou spirituel.

Quelques autres définitions, éclairages
- Yves Cochet définit l'effondrement de la civilisation comme le processus à l'issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à un coût raisonnable à une majorité de la population par des services encadrés par la loi durant plus d'un an.
- « Si on imagine que l'effondrement est la fin de l'humanité, on se trompe : elle va survivre, par contre elle ne pourra pas continuer à vivre avec le niveau de dépense énergétique actuel et avec un nombre d'habitants croissant » Jean-Marc Jancovici.
- « Les systèmes tiennent souvent plus longtemps qu'on ne le pense, mais ils finissent par s'effondrer beaucoup plus vite qu'on ne l'imagine » Kenneth Rogoff, ancien chef économiste du FMI.

La menace d'un effondrement peut également être vue de manière positive, comme une formidable opportunité de prendre un virage vers une civilisation plus durable, basée sur le partage, le respect, la solidarité et la bienveillance !
Et la prise en compte de cette menace permet d'anticiper des stratégies face aux changements à venir, au lieu de les nier avant de les subir.

Résilience

C'est la capacité, la qualité d'un système à retrouver un mode de fonctionnement satisfaisant (éventuellement dégradé) après un choc violent, quelle qu'en soit la nature : physique, psychologique, financière, affective, sanitaire, énergétique, climatique, alimentaire...
La résilience est une qualité qui s'évalue sur la durée : elle s'épanouit donc à l'opposé de la performance à court terme. Ainsi beaucoup de nos outils aujourd'hui performants devront céder la place à d'autres plus résilients, qui induiront un mode de vie moins réactif mais plus serein.


Pablo Servigne, théoricien de l’effondrement : « Cette crise, je ne l’ai pas vue venir, alors que je la connaissais en théorie »

La pandémie est, selon lui, une « crise cardiaque générale », qui montre l’« extrême vulnérabilité de nos sociétés ».

Propos recueillis par Audrey Garric

Crise sanitaire, chômage de masse, pénuries de médicaments, risque de rupture des chaînes d’approvisionnement… Le coronavirus est-il le signe d’un effondrement à venir de notre civilisation, tel que l’ont pensé les collapsologues ?

Pour Pablo Servigne, l’un des principaux théoriciens de la collapsologie, coauteur de plusieurs livres, dont le best-seller Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015), la pandémie de Covid-19 est une « crise cardiaque générale », qui montre l’« extrême vulnérabilité de nos sociétés ». Il appelle à renforcer les solidarités, le local, l’autolimitation et l’autonomie.


LE MONDE : La pandémie de Covid-19 constitue-t-elle un signe avant-coureur d’un effondrement à venir de notre civilisation ?

C’est un signe avant-coureur de possibles effondrements plus graves. La pandémie montre l’extrême vulnérabilité de nos sociétés, leur degré d’interconnexion, de dépendances et d’instabilité.

Elle montre aussi très bien la stupidité, la criminalité et la contre-productivité des politiques néolibérales qui vont à l’encontre du bien commun, en ayant démantelé – entre autres – les services de santé, ou en n’ayant pas suffisamment prévu de stocks de masques.

Est-on pour autant en train de vivre un effondrement ? C’est une question pour les archéologues du futur. Ce qui me semble évident, c’est que l’on est en train de vivre une crise cardiaque générale. Plus on attend, plus les tissus se nécrosent, et plus il sera difficile de repartir comme avant.

Le piège serait de considérer cette crise comme uniquement sanitaire. En réalité, elle a des causes et des conséquences externes à la santé – économiques, écologiques, politiques, financières. C’est une crise globale, systémique. Nous n’étions pas du tout préparés à un choc aussi rapide et brutal, d’abord parce que ce n’est jamais arrivé sous cette forme, mais surtout parce que la plupart des gens ne voulaient pas y croire, malgré les avertissements scientifiques depuis des années.

LE MONDE : Comment avez-vous réagi devant l’ampleur de la crise en cours ?

C’est paradoxal : j’anticipais beaucoup de graves crises, en particulier financière, climatique ou énergétique, mais celle-là, je ne l’ai pas vue venir, alors que je la connaissais en théorie.

Pendant quelques jours, j’ai été sidéré, anesthésié. J’ai vécu ce déni que nous décrivons dans nos livres. Lorsque j’ai changé mon quotidien, un peu avant la plupart des gens, j’ai même culpabilisé de mettre en place des mesures antisociales, par crainte de passer encore pour un catastrophiste.

La leçon que j’en tire, c’est qu’au fil des années, lassé de passer pour un oiseau de mauvais augure, d’être toujours accusé d’exagérer le propos, j’ai « lissé » ma présentation des risques : dans les conférences ou les articles, je ne citais même plus les pandémies, parce qu’elles font très peur. Je me suis pris à mon propre piège de vouloir tempérer mes propos pour parler à un grand public.

LE MONDE : Cette crise sanitaire et économique pourrait-elle déboucher sur un effondrement généralisé ?

Cela pourrait être le cas par des enchaînements et des boucles de rétroactions, dont les conséquences sont par définition imprévisibles.

Par exemple, si la finance s’effondre, met à mal les Etats, provoque des politiques autoritaires ou identitaires, cela pourrait déboucher sur des guerres, des maladies et des famines, qui, elles, interagissent en boucle. C’est un risque, mais ce n’est pas inexorable.

Quand on voit les millions de nouveaux chômeurs, l’état des finances, la dépendance aux importations d’énergie, les tensions accumulées en France qui font qu’on a une poudrière sociale, la perte de confiance envers les gouvernements, la compétition entre pays qui s’accroît, on voit que la pandémie a considérablement augmenté les risques d’effondrement systémique.

LE MONDE : Pourtant, on est encore loin de la définition de l’effondrement donnée par Yves Cochet [ex-ministre de l’environnement et un des penseurs de la collapsologie] : l’absence d’accès aux besoins de base (alimentation, eau, logement, santé, etc.) par des services encadrés par la loi.

On s’en rapproche potentiellement.

Dans cette « crise cardiaque », le corps social est encore vivant, mais si ça continue et si des mauvaises décisions sont prises, on risque la désintégration rapide des services « encadrés par la loi ».

Avec la collapsologie, nous avons surtout mis en évidence que des grands chocs systémiques étaient possibles. Les catastrophes sont désormais la réalité de la génération présente : nous en vivrons de plus en plus tout au long du siècle. Non seulement elles seront plus fortes et plus puissantes, mais elles viendront de toutes parts (climat, économie, finance, pollutions, maladies…). Cela pourra provoquer des déstabilisations majeures de nos sociétés et de la biosphère, des effondrements.

LE MONDE : Comment analysez-vous la réaction des gouvernements face à la pandémie ?

Le gouvernement a réagi de manière tardive et autoritaire, et assez maladroite. D’une certaine manière, on peut le comprendre car c’est la première pandémie que l’on vit depuis des décennies, et la première qui ne soit pas une grippe influenza.

Mais le problème est qu’il y a une grande défiance envers les autorités depuis des mois, voire des années, dont elles sont les principales responsables. Alors, pour être entendus, les pouvoirs publics ont dû jouer la surenchère autoritaire, ce qui va renforcer à terme la perte de confiance. C’est une mauvaise trajectoire, qui peut déboucher sur une crise sociale et politique majeure en France.

Les gouvernements réagissent aussi avec une rhétorique militaire, en faisant appel à la police et à l’armée. Je ne vois pas un état de guerre, je vois un état de siège. Comme une citadelle assiégée, tout est à l’arrêt, et pour tenir le plus longtemps possible, confinés, il nous faut prendre soin les uns des autres, réduire nos besoins, partager. L’ennemi n’est pas extérieur mais intérieur, nous devons revoir notre rapport au monde.

LE MONDE : La vie confinée nous prépare-t-elle à la vie dans une société effondrée ?

La plupart des Français vivent encore dans de très bonnes conditions, avec de la nourriture, de l’eau, une sécurité et Internet. Mais une partie de la population est déjà effondrée en quelque sorte, les soignants, les précaires, les malades, les endeuillés.

Reste que le confinement est une expérience très intéressante de renoncement : on renonce aux transports, aux voyages, etc. Dans quels cas est-ce désagréable ou agréable ? Quand le déconfinement viendra, on aura goûté à ce qui était vraiment essentiel. Les questions de vie ou de mort nous amènent à une certaine sagesse. Cela nous apprend l’autolimitation et l’humilité, ce qui est capital pour la suite.

LE MONDE : Beaucoup de propositions affluent déjà pour construire le « monde d’après ». Comment le voyez-vous ?

La pandémie a créé une brèche dans l’imaginaire des futurs politiques, où tout semble désormais possible, le pire comme le meilleur, ce qui est à la fois angoissant et excitant.

Il faut d’abord assurer une continuité des moyens d’existence des populations, tout en retrouvant une puissance des services publics du « soin » au sens large (alimentation, santé, social, équité, écologie…), ce qui peut se faire rapidement par des politiques publiques massives et coordonnées, de type création de la sécurité sociale, New Deal, plan Marshall, etc.

Mais une politique publique forte ne garantit pas un changement profond et structurel. C’est donc le moment de tourner la page de l’idéologie de la compétitivité et de l’égoïsme institutionnalisé et d’aller vers plus de solidarité et d’entraide.

Il faut aussi retrouver de l’autonomie à toutes les échelles (individuelle, locale, nationale). Bref, des principes inverses au monde actuel, globalisé, industriel et capitaliste ; tout ce qui amène à revenir à la vie, à contrer une société mortifère. Les changements devront être sociaux et individuels, c’est-à-dire que l’enjeu est politique et spirituel. S’il manque l’une des deux faces, je pense que c’est voué à l’échec. Sans oublier le plus important, c’est un processus commun, délibératif, le plus démocratique possible.

Je suis aussi persuadé qu’on va vivre une succession de chocs qui vont restructurer nos sociétés de manière assez organique. On va un peu concevoir ces transformations mais surtout les subir. La grande question est de savoir si on arrivera à s’adapter. Quand on soumet l’organisme à des chocs répétés, il se renforce à terme, sauf si les chocs sont trop rapides et trop forts ; dans ce cas, il meurt.