« Sentir être moderne et être terrestre » grâce aux statues. Faire des sculptures !


Cet outil est inspiré des pratiques de formation systémique pour intervenants sociaux.
Elle nous semble très pertinente et au cœur des pratiques s’inspirant de Bruno Latour. Il propose sans cesse de veiller à produire de nouveaux affects en mobilisant l’art, les corps, le sensible.
Ces dernières années, les recherches en neurophysiologie confirment ce qui était jusque-là une intuition : nous pensons en symboles avant de penser en paroles. Nous vivons aussi dans des récits sans paroles, faits d’images, de sensible et d’émotions. Nous parvenons à traduire en paroles une partie de ces images et ces paroles nous aident bien évidemment à communiquer. Avec la parole, nos expériences deviennent plus partageables. Mais la logique symbolique persiste et est essentiellement intuitive et immédiate. La perception symbolique du monde joue un rôle essentiel dans notre vécu.

L’objectif de cette pratique est donc de permettre une expression corporelle, imagée, symbolique d’un thème ou d’une situation. Elle permet de partager des affects et de les exprimer autrement que par des mots.
Il s’agit pratiquement de proposer au groupe de réaliser deux sculptures, l’une représentant la modernité, nous pourrions dire la vision mécaniste et qui sera appelée celle des modernes et une deuxième représentant la vision organique, celle d’une société prenant soin des conditions de cohabitation avec les autres qu’humains, qui sera appelée celle des terrestres. Nous proposons donc au groupe d’imaginer une statue double, en deux tableaux.
Deux textes de synthèse sont à prévoir pour présenter ces deux visions.
Il nous semble important de signaler au groupe que le travail proposé est conçu dans la cadre de la notion d’idéal –type. Idéal ne signifie pas ici meilleur, mais le fait de construire une représentation accentuée, à grossir les traits fondamentaux d’une situation afin de lui donner une intelligibilité. Grossir les traits, les accentuer pour former un tableau relativement homogène de la situation. Il s’agit, d’une certaine manière de proposer des caricatures qui nous permettent de différencier, de distinguer des modes de fonctionnement.
Deuxième précaution : moderne ne signifie pas ici une période historique mais bien une façon de penser et d’agir. Durant la période historique moderne, bien de façon d’agir et de penser le monde se sont côtoyées. Mais une façon de penser le monde a dominé les autres et a façonné nos institutions.
Une présentation possible de l’exercice : « Les échevins de votre commune vous contactent. Ils ont décidé de placer une statue au centre de la place communale et vous demandent de leur faire des propositions. La statue doit représenter, évoquer les changements à l’œuvre dans nos sociétés pour répondre aux défis actuels. »
Plusieurs possibilités se présentent pour organiser cet atelier : le mieux nous semble de créer des sous-groupes de plus ou moins cinq personnes, chacun des sous-groupes réalisant un projet de statue. Il peut être proposé de la créer ensemble, puis de désigner un sculpteur qui placera les corps. Une autre technique utilisée est de proposer à une personne de prendre une posture représentant le thème, puis au fur à à mesure, les autres viennent compléter l’image produite.
Après cette préparation en petits groupes, un moment de partage en grand groupe est organisé : les différentes statues sont montrées.
Des moments de partage des ressentis sont prévus : comment aves-vous vécu votre statue, votre place au sein de celle-ci ? Que s’est-il passé pour vous ? Qu’avez-vous ressenti à la vision des statues proposées ?

Exemples de textes pour cadrer l’invitation à la réalisation des statues :

Le monde des modernes :
Les modernes ont bien séparé Nature et Culture, les humains et le reste. Les humains sont dotés d’intelligence, d’intentions, ils sont les acteurs et façonnent le monde suivant leur volonté. Le reste est réduit au statut d’objets, manipulables, utilisables et corvéables à merci. Ces objets sont dépourvus de puissances d’agir : ils sont muets et passifs. Les humains maitrisent leurs actions, ils savent que la réalisation de leurs buts dépend d’eux, le reste obéira.
Les animaux et les plantes sont des machines, vivantes certes, mais répondent à des lois mécaniques, prévisibles. La Science permet la connaissance de ces machines, elle énonce le Vrai. Le monde est donc une immense mécanique que nous pouvons soumettre, domestiquer, contrôler et réparer si nécessaire. Le monde est infini et les ressources y sont infinies, pas de limite à notre croissance économique !

Le monde des terrestres :
Les terrestres cohabitent avec d’autres êtres tout aussi agissant qu’eux, sur une petite pellicule étroite de vie. Ils savent que les autres qu’humains agissent aussi et ont créé et continuent à créer les conditions d’habitabilité de la terre. Elles savent, ces terrestres, que leur existence dépend des autres vivants. Elles doivent donc les respecter, négocier avec eux, en prendre soin. Le monde devient donc une grande danse avec de multiples danseurs. Les abeilles et les rivières deviennent des êtres à part entière et non de purs objets : elles ont des exigences, des revendications et des façons d’agir.