Latour pour éduquer !


« Les idées ne valent rien, sauf quand elles s’inscrivent dans des actions qui réarrangent et reconstruisent en quelque manière, petite ou grande, le monde dans lequel nous vivons » John Dewey, La quête de certitude.

« Apprendre, c’est transformer ses conceptions » André Giordan

« C’est pourquoi chaque acte pédagogique se voit obligé de transformer la science en art. Pour que la transmission soit possible, le savoir de l’enseignant doit correspondre à un acte, à une puissance de faire chez l’élève. La transmission du savoir fait donc du sujet à qui la pédagogie s’adresse un sujet qui se définit par l’action de s’élever à un état qui n’est pas supérieur seulement d’un point de vue cognitif mais aussi et surtout moral: toute pédagogie est donc une psychagogie plus qu’une épistémologie. » Emanuele Coccia

Tout engagement, toute action a comme préalable une représentation critique de notre époque, du monde au sein duquel nous vivons. Toute action s’organise autour d’une façon spécifique de percevoir un problème et d’en estimer la gravité. Le genre d’action qui mobilisera un collectif sera déterminé par son type de lecture de la situation.
Il s’agit pour nous de promouvoir des manières d’appréhender la complexité des problèmes, de faire des liens entre leurs différentes facettes dans une perspective systémique et critique.
Si comme l’indique le Décret, notre objectif est de « favoriser et de développer une prise de conscience et une connaissance critique des réalités de la société ; des capacités d'analyse, de choix, d'action et d'évaluation; des attitudes de responsabilité et de participation active à la vie sociale, économique, culturelle et politique », les différentes phases proposées dans les ateliers terrestres nous semblent particulièrement pertinentes. Comme l’écrit Guillaume Lohest : « Une démarche d’éducation permanente, … , produit du collectif par des liens de questionnements, non par des contaminations de croyances. Elle tente de faire dialoguer les doutes entre eux et avec des apports extérieurs : des informations, des recherches, des valeurs-cadres. »
Les propositions faites nous semblent partageables, comme des recettes peuvent l’être, elles sont des inventions de procédés de questionnement, des artifices bousculant, mais apprenants.
Ce sont des inventions de procédés qui contraignent le groupe à enrichir ses habitudes et à s’ouvrir à de nouvelles potentialités.
Notre préoccupation est donc bien de construire des dispositifs, pour nous permettre de voir autrement et de parler autrement. Des dispositifs pour nous mettre au travail, un travail exigeant !

Pourquoi Bruno Latour ?


"Aujourd'hui, notre tâche la plus urgente est peut-être d'apprendre à penser autrement." Gregory Bateson

« Nous étions juché sur les épaules d’un géant » Paul Watzlawick

«  … la tâche de rappeler ce qui devrait être est aisée alors que celle de penser autrement ce qui est se révèle plus difficile que jamais. » François Flahault

Nous désirons nous inspirer de l’œuvre de Bruno Latour, ou plutôt de la famille de pensée dont Bruno est comme un nœud. « Qui suis-je, moi ? Qu'ai-je créé ? J'ai tout reçu, tout accueilli, j'ai assimilé tout ce qui passait à ma portée. Mon œuvre est celle d’un être collectif qui porte un nom : Goethe » écrivait Johann Wolfgang Von Goethe ! Nous considérons que Bruno Latour aurait pu écrire quelque chose de semblable. Latour est un penseur du collectif mais a toujours pensé « en collectif » !
Il est sociologue, anthropologue et philosophe des sciences. Il est classé parmi les dix chercheurs les plus cités en sciences humaines et est parfois décrit comme « le plus célèbre et le plus incompris des philosophes français ». (Wiki)
Au cours de sa carrière, il a entretenu de nombreux échanges intellectuels avec des milliers de chercheurs, d’écrivains, d’artistes et de penseurs ; d’autres, sans correspondre ou collaborer directement avec lui, ont été marqués par son oeuvre. Depuis celle qu’il considérait comme sa maître à penser, Isabelle Stengers jusqu’à Donna Haraway, en passant par James Dewey, Whitehead, Michel Serres, Edgar Morin, … ses références sont multiples. Les travaux de Bruno Latour doivent également beaucoup à ses collègues de l'école des Mines comme Michel Callon ou de l’école des Arts Politiques, comme Frédérique Aït-Touati.
Si nous allons suivre le cheminement proposé par Bruno Latour dans ses exposés concernant la thématique « terrestre », nous allons aussi nous inspirer d’auteurs comme Vinciane Despret, Baptiste Morizot, Patrice Maniglier ou Emmanele Coccia qui ont prolongé et enrichi son œuvre. Nous mobiliserons également les apprentissages réalisés au sein de mouvements comme la ZAD de Notre Dame des Landes, …. ou … (voir doc)
Nous tenterons, avec elles et eux, d’apprendre à penser autrement !
Quelque chose de particulièrement passionnant dans son œuvre est, pour nous, son insistance pour les dispositifs, les procédures, les questions, les façons de mettre au travail. Miguel Benassayag écrivait : « L’important n’est pas de trouver les bonnes réponses mais de se poser les bonnes questions ». Cartographie des controverses, expositions, pièces de théâtre, questionnaires, boussoles, enquête, autant d’outils pour nous mettre au travail. Devenir curieux, chercheurs, expérimentateurs ! Parce que, pour lui, il faut remettre les choses à plat, recommencer, redéfinir, sortir des ornières de la Modernité.
Les « ateliers terrestres » que nous expérimentons sont typiquement des dispositifs de recherche, d’enquête, de mise en mouvement. Difficiles, exigeants, heurtant parfois, déstabilisants souvent. En nous inspirant de ce genre de pratiques, nous voulons, ensemble, apprendre une attitude de curiosité autant que des compétences quant à l’organisation de dispositifs.

« La vision moderne du monde tire sa révérence, et une autre, encore à l’état d’ébauche, émerge petit à petit » J. Baird Callicott

Nous adhérons à la proposition que les anciens récits de Progrès, de Croissance, ce que Bruno Latour nomme « modernisation », sont caducs et doivent être revisités. Il nous faut inventer des récits lucides, mais inspirants comme le propose si bien Arthur Keller. Comment proposer de nouvelles orientations qui nous permettent de protéger les conditions d’habitabilité de la terre, pour tous ses habitants ? S’il est largement admis que notre modèle de développement actuel n’est ni soutenable, ni généralisable, ni souhaitable et qu'il doit être changé, comment élaborer des alternatives ? L’apprentissage collectif par le biais de l’expérimentation locale peut constituer un élément essentiel de cette invention de nouveaux horizons ancrés dans des pratiques concrètes. « Nous avons besoin à la fois de cette vision et d'une idée de la façon d’atteindre la destination : non seulement un objectif final, mais également une carte pour y parvenir. » (Olivier De Schutter)

  • « … donner des mots au monde qui vient. » Dominique Rousseau

La proposition que nous faisons tente d’être fidèle aux propositions récentes de Bruno Latour.
Par des livres (Face à Gaïa, Où atterrir ?) et des propositions de dispositifs (programme d'expérimentation en arts et politique, théâtre, expositions) il tente de définir ce que pourrait être une nouvelle « géo-politique ». Il appelle à inventer un « parcours de soin », qui nous permette de ne pas mourir idiots.
Il distingue les « Terrestres » qui admettent que nous ne sommes pas « seuls aux commandes » et qui savent que nous devons partager le pouvoir avec les forêts, l’eau, la terre, les animaux, des « Humains » croyant aux mécanismes du
marché, à l’intangibilité des États-nations et à la supériorité de la
Science.
Les « humains » considèrent que les hommes font l’histoire sur fond d’une nature inchangée. Or ce qui était considéré comme un décor, notre « environnement », s’est animé. La nature interagit avec l’homme : « comme si le décor était monté sur scène pour partager l’intrigue avec les acteurs ». La question écologique nous oriente vers le sol terrestre. « La question de l’appartenance à un sol doit être prise en compte et qu’elle devient celle d’une Terre à soigner. » De nouvelles alliances sociales doivent se construire sur le souci du terrestre, et pour cela il nous faut définir, par le détail, des territoires de vie. A l'âge de la question sociale succède l'époque de la question géo sociale.
Bruno Latour développe l’idée de multiplier les interconnections, les « contaminations latérales » pour construire de nouvelles classes géo sociales : les terriens. Il nous invite à nous rassembler et organiser de la façon la plus horizontale possible.