Bienvenue sur la boite à outils Terrestres

Introduction


« Le grand défi, c’est de pouvoir éduquer à travers des pratiques transmissibles et non pas à partir de concepts compréhensibles. » Miguel Benasayag,

« Nous sommes là pour faire penser, non pour penser à la place des autres » Bruno Latour

Le présent document vise à fournir, aux collectifs et associations le désirant, les ingrédients et données nécessaires à conduire des ateliers « terrestres ». Ces propositions sont bien évidemment inspirées des travaux de Bruno Latour, mais aussi d’autres auteurs, collectifs et courants d’engagement. Elles ont été initiées au sein du Collectif Terrestres, animé par Quentin Libouton et rassemblant des membres de plusieurs collectifs et associations d’éducation, dont Le Réseau de Collectif en Recherche de Résilience. Ce collectif a expérimenté une dizaine d’ateliers, d’un jour ou d’une ou deux soirées, certains en présentiel, d’autres en zoom, Covid obligeant ! Après chaque expérience, une évaluation était faite et des tentatives d’amélioration apportées. Des adaptations aux caractéristiques des groupes (de 12 à 80 personnes) et à leurs demandes ont également enrichi la panoplie des dispositifs.
Ceci fut encore enrichi grâce à la participation du Ciep-Moc Namur et les ateliers longs animés à Natoye et Dinant. Une collaboration riche nous a aussi permis d’organiser un atelier de cinq journées à LLN, expérience qui a encore enrichi les dispositifs.
Nous avons toujours suivi, mais parfois de façon très souple, le type de cheminement que Bruno Latour lui-même parcourt : une forme d’introduction visant à décrire la situation générale qu’il nomme « le nouveau régime climatique », une invitation à décrire personnellement son territoire en utilisant un questionnaire puis l’activité appelée « la boussole ».
Ce document ne vise pas à présenter une synthèse de la pensée de Bruno Latour ! D’excellents livres et articles le font. Notre projet est beaucoup moins ambitieux. Il s’agit de proposer des cheminements s’inspirant de certaines de ses propositions, tout en les enrichissant de multiples pratiques et démarches émanant de ce qu’il est habituel de nommer le courant écologiste. Nous pourrions donc présenter notre travail comme tentant de mettre à l’œuvre, dans des dispositifs pédagogiques innovants, des propositions de reformulation de description de notre époque, de ses défis, du type d’engagement et d’actions possibles, de « façons de penser » !

Nous sommes désorientés : où atterrir ?

Bruno Latour nous propose des questions qui peuvent sembler bien étranges ! Depuis de nombreuses années et plusieurs ouvrages, il questionne la « Modernité » et ces grands repères : la séparation Nature / Culture, le Progrès, la Mondialisation, la politique comme exercice des humains entre eux, … Pour lui, le défi majeur de notre époque est le « Nouveau Régime Climatique » (il désigne par cela autant la perturbation climatique que la perte de biodiversité ou encore l’extinction des ressources) ou ce qu’il appelle « l’irruption de Gaïa ». La terre, que nous avons appelé notre environnement, notre décor, doit être reconnue comme une puissance d’agir ; le décor est devenu acteur à part entière. Nous nous étions, avec la modernité, « envolés » - voir le vocabulaire du développement : « envol de l’économie de tel ou tel pays » – dans un voyage étrange oubliant nos conditions d’existence et tous les êtres non humains qui les permettent. Depuis les bactéries aux vers de terre, depuis les arbres aux rivières, tous les êtres qui élaborent nos conditions de vie : oxygène, climat, fertilité des sols ont été négligés. Les Modernes ont pensé des peuples d’humains sans « terre ». Nous avons construit une civilisation « hors sol » !
Il nous faut donc redéfinir ce que sont des territoires de vie. La question fondamentale que pose le « nouveau régime climatique » est celle de l’habitabilité. « Il se trouve que les vivants, parce qu’ils rejettent à l’extérieur les déchets de leur métabolisme, créent, par hasard, des conditions nouvelles et imprévues dont d’autres organismes se sont emparés pour prospérer. De fil en aiguille, au cours de plusieurs milliards d’année, un environnement totalement nouveau s’est constitué où il est devenu impossible de distinguer la limite d’un organisme donné et les conditions procurés à cet organisme par les rejets des autres vivants. La question cruciale n’est donc pas celle de la vie ou de l’environnement, mais de l’habitabilité qui permet de maintenir les conditions d’existence pour d’autres vivants –humains compris. »
L’œuvre de Bruno Latour nous semble un cadre riche pour relier changements concrets dans nos modes de vies et changements des conceptions que nous nous faisons de ce qu’est le monde, nos sociétés, les vivants, nos projets. Penser autrement nos existences pour inventer d’autres façons de vivre nous impose de considérer autrement les êtres avec lesquels nous cohabitons sur cette terre. Le monde au sein duquel nous vivons n’a pas pris soin du monde dont nous vivons ! Ce monde est considéré comme un réservoir inépuisable de matériaux pour notre confort et comme une immense poubelle pour nos déchets. Notre modernité considère végétaux et animaux comme des objets manipulables, dénués d’importance sinon celle de nous servir de matière première



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Bruno Latour

" C'est que l'injustice ne se limite pas à la seule redistribution des fruits du progrès, mais à la façon même de faire fructifier la planète. Ce qui ne veut pas dire décroître ou vivre d'amour ou d'eau fraîche, mais apprendre à sélectionner chaque segment de ce fameux système prétendument irréversible, de mettre en cause chacune des connections soi-disant indispensable, et d'éprouver de proche en proche ce qui est désirable et ce qui a cessé de l'être. "
Bruno Latour