Vocabulaire

Notre objectif prioritaire consiste à envisager la posture et le discours
des Colibris sur la question de l'effondrement. Mais quelle terminologie
employer, effondrement est-il le mot adapté, et quel concept cherche-t-on
à évoquer ? Faire l'économie de cette étape nous exposerait à trop
de difficultés de compréhension et de cohérence du discours, à
l'intérieur comme à l'extérieur des Colibris.

1. Quelques essais de définitions
- Laurent cite la définition d'Yves Cochet : « Processus à l'issue duquel
les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie,
mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à un coût raisonnable à une
majorité de la population par des services encadrés par la loi durant
plus d'un an ». Christian estime que selon cette définition très politico-
économique beaucoup d'habitants de la planète sont déjà en situation
d'effondrement sur un ou plusieurs des besoins de base.
- Jacques donne la définition scientifique de l'effondrement vu par la
physique : un système s'effondre à la suite d'une situation de
déséquilibre persistant. Cette définition a l'avantage de la caution
scientifique, factuelle et objective.
- Christian évoque la dégradation systémique des institutions qui
structurent une société : politique, sociale, environnementale,
éducative, juridique, alimentaire, économique, énergétique, etc.
- Jacques souligne qu'aucun discours sérieux n'évoque l'effondrement
simultané de tous ces systèmes, qui équivaudrait à un chaos, à la
disparition de l'humanité, à un discours de catastrophisme.
- Christian approuve : il n'y a pas un effondrement, chacun de ces
systèmes est à un stade différent d'effondrement. Et nous n'avons pas
conscience de l'état d'effondrement de certains de ces systèmes, parce
qu'ils sont éloignés de nous par la géographie, par nos sujets de
préoccupations ou par le degré de couverture médiatique dont il font
plus ou moins l'objet. Il cite deux exemples d'effondrements aujourd'hui
avérés : l'exode climatique déjà réel pour plusieurs populations, et la
disparition totale de la forêt primaire évoquée par Francis Hallé.
- Laurent estime que cette approche plurielle de l'effondrement serait
une bonne base de départ pour les Colibris.

2. Le concept étant à peu près circonscrit, quels termes pourraient lui convenir ?
- Effondrement. Affaissement, destruction totale. En géologie :
désolidarisation d'une grande structure.
Inventaire des termes de sens voisins.
- Affaissement. Utilisé en géologie pour les terrains. Sens trop faible.
- Anéantissement. Destruction totale = retour au néant. Sens trop fort.
- Bouleversement. Changement, mutation. Sens assez fort, mais
moins destructeur que l'effondrement, et lié à une action plus
brève/brutale, moins progressive.
- Chute. Utilisé pour la fin des civilisations (chute des empires), mais
aussi en économie pour la perte brusque de valeur, et au sens moral
(Albert Camus). Sens trop vague et prosaïque.
- Déclin. Plus subtil que la chute, évoque la décadence progressive des
civilisations, avant leur fin. Terme déjà associé au ?déclinisme?, posture
d'analystes politico-sociale éloignés de notre mouvement. Aussi utilisé
en sciences économiques (dernière étape du cycle de vie des produits,
avant le recyclage). Proche du sens recherché.
- Décadence. Déclin, commencement de ruine. Ajoute une connotation
morale. Moins forte que l'effondrement, elle est surtout temporellement
antérieure,
- Décomposition. Action de décomposer en éléments de base
(chimie). Pourriture d'une substance organique. Décomposition d'un
problème pour faciliter sa résolution. Proche du sens recherché.
- Dégradation. Délabrement, passage progressif à un état plus
mauvais. La dégradation n'est qu'une tendance, trop faible pour le sens
recherché.
- Désagrégation. Séparation de ce qui est agrégé ou composé.
Destruction de ce qui constituait un ensemble. Malgré l'expression de
désagrégation du lien social ce n'est pas vraiment le sens recherché.
- Destruction. Action de faire disparaître, par une démolition volontaire
et programmée. On s'écarte donc du sens recherché, à moins d'estimer
que l'ultralibéralisme est délibérément suicidaire...
- Déstructuration. Décomposition de la structure, du squelette qui tient
et relie. Le concept pose une question intéressante : alors que la chute
d'une construction matérielle est généralement due à la rupture de ses
structures, la chute d'une civilisation peut aussi provenir d'une gangrène
partant des extrémités avant de gagner le coeur.
- Dislocation. Séparation des parties d'un ensemble, démembrement.
S'emploie en médecine (pour le squelette), et en politique pour les groupes
humains de toutes tailles, d'un couple jusqu'aux institutions internationales.
Des dislocations peuvent générer un effondrement, ou l'accompagner, ou
en résulter et l'aggraver en cascade. Ce terme est donc un des plus
adaptés aux phénomènes complexes associables à un effondrement.
- Disparition. Souvent sans trace ni explication (disparition de
personne ou d'objet). Donc éloignée du sens recherché, même si
l'expression en voie de disparition est employée pour les espèces
animales ou végétales.
- Dissolution. Signifie l'absorption d'un composant par un autre, auquel
il s'assimile jusqu'à ne plus s'en distinguer (chimie), très loin du sens
recherché. S'applique aussi dans le domaine moral (des moeurs
dissolues) et pour un contrat (rupture).
- Ã?croulement. Cité comme premier synonyme d'effondrement, et
voisin de : affaissement, destruction totale, anéantissement, ruine.
- Effritement. Signe d'affaiblissement progressif. Trop faible pour le
sens recherché.
- Ã?miettement. Idem effritement.
- Ã?rosion. Plus fort que les deux termes précédents : usure lente,
dégradation progressive, désagrégation. Utilisé aussi pour les marges
commerciales et le pouvoir d'achat. Convient plutôt à un stade
préalable à l'effondrement.
- Ã?vanouissement. Perte de conscience, mais aussi anéantissement et
annulation. Aucun signe d'affaissement progressif, donc sens inadapté.
- Extinction. Disparition, généralement d'une espèce. Et aussi
extinction de voix, des feux. Comparable à disparition ou à fin, donc
éloigné du sens recherché.
- Faillite. Situation d'un débiteur qui ne peut plus payer ses dettes.
Ã?chec complet. Proche de ruine, mais pour une étape plus finale et
encore plus orienté économie : sens trop fort.
- Fin. Sens inadapté : évoque un état terminal, pas une évolution en
cours.
- Naufrage. Couler comme un navire : catastrophe trop rapide pour
évoquer l'effondrement.
- Ruine. Perte, faillite, destruction. Ruiner = ravager, détruire, dévaster,
causer la perte. Utilisé dans le bâtiment (tomber en, être en) et
économie : menacer de...., se ruiner, perdre ses biens, dépenser à
l'excès. Sens assez adéquat, bien que plus avancé.
- Pour finir, le terme latin collapsus (recyclé en collapse par les
anglophones) signifie tombé en un seul bloc : c'est assez éloigné de la
dégradation progressive et disparate que nous envisageons...

3. Conclusion provisoire
Comme le signale Laurent, il n'est pas évident pour notre mouvement
de décider tout seul que le terme d'effondrement déjà solidement
implanté devrait être remplacé par un nouveau mot, même plus pertinent.
En revanche notre communication peut tirer profit de la réflexion menée
sur la terminologie associée à l'effondrement. Par exemple en insistant
sur l'approche plurielle évoquée au premier paragraphe : pluralité des
systèmes structurant la société et qui sont à des degrés divers de
dégradation ; puis pluralité des processus de dégradation, qui
peuvent être analysés avec précision en s'appuyant sur le lexique des
25 termes énumérés dans le deuxième paragraphe.
Cette démarche nous aiderait à prendre de la distance avec les
pensées schématiques trop présentes en période de doute...

Qu'est-ce-que c'est ?

Effondrement

Définition générique
Un effondrement est une réaction d'un système placé en état de déséquilibre sur une trop grande période, et qui s'adapte pour retrouver un état d'équilibre : être vivant, sol, bâtiment, système financier, système halieutique, etc.

Exemple
Une population d'insectes se développant à vitesse exponentielle sur un territoire aux ressources en nourriture limitée va inévitablement voir sa population s'effondrer à un moment, afin de retrouver un état d'équilibre entre taille de la population et ressources.

Mais encore ?
On peut également dire que tout système qui affiche une évolution en croissance continue (surtout si elle est exponentielle), connaîtra un jour ou l'autre un effondrement : système financier, pyramide de Ponzi, accroissement de la population, consommation de ressources quelles qu'elles soient...
Pour un système extrêmement complexe comme notre société, ce n'est pas un effondrement unique qui risque de se produire, mais une multitudes d'effondrements, répartis dans le temps et l'espace, et de nature et de stades divers : financier, énergétique, écologique, alimentaire, des ressources, d'ordre social et sanitaire, conflits armés... On peut également parler d'effondrement intérieur dans le cas d'effondrement d'ordre social, éducatif, moral, religieux ou spirituel.

Quelques autres définitions, éclairages
- Yves Cochet définit l'effondrement de la civilisation comme le processus à l'issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à un coût raisonnable à une majorité de la population par des services encadrés par la loi durant plus d'un an.
- « Si on imagine que l'effondrement est la fin de l'humanité, on se trompe : elle va survivre, par contre elle ne pourra pas continuer à vivre avec le niveau de dépense énergétique actuel et avec un nombre d'habitants croissant » Jean-Marc Jancovici.
- « Les systèmes tiennent souvent plus longtemps qu'on ne le pense, mais ils finissent par s'effondrer beaucoup plus vite qu'on ne l'imagine » Kenneth Rogoff, ancien chef économiste du FMI.

La menace d'un effondrement peut également être vue de manière positive, comme une formidable opportunité de prendre un virage vers une civilisation plus durable, basée sur le partage, le respect, la solidarité et la bienveillance !
Et la prise en compte de cette menace permet d'anticiper des stratégies face aux changements à venir, au lieu de les nier avant de les subir.

Résilience

C'est la capacité, la qualité d'un système à retrouver un mode de fonctionnement satisfaisant (éventuellement dégradé) après un choc violent, quelle qu'en soit la nature : physique, psychologique, financière, affective, sanitaire, énergétique, climatique, alimentaire...
La résilience est une qualité qui s'évalue sur la durée : elle s'épanouit donc à l'opposé de la performance à court terme. Ainsi beaucoup de nos outils aujourd'hui performants devront céder la place à d'autres plus résilients, qui induiront un mode de vie moins réactif mais plus serein.