Que de chemin parcouru

Récit :

Ce soir de septembre 2050 je me remémore le chemin qui nous avons fait en 30 ans vers le web démocratique et collaboratif qui nous permet de nous associer mondialement pour lutter contre les GAFAMs et autres monstres de l'économie conventionnelle et de l'internet.

Nos données personnelles ne sont plus utilisées à des fins économiques (publicité), politiques (élections) et manipulatoires, ce qui nécessita de longues luttes !

Dans les années 2020 à 2030 deux stratégies ont été mises en oeuvre. L'une, juridique, s'appuyant sur la loi européenne du RGPD, nous a permis de lancer des procès collectifs contre les GAFAMs, pour stockage  et utilisation illicite de nos données personnelles. Ces procès ont mobilisés des dizaines de milliers de citoyens et ont fini par coûter plusieurs dizaines de milliards à ces entreprises et les a amener à détruire systématiquement les données enregistrées dans les 3 mois suivant leur enregistrement. Ce fut une belle victoire, alliant une forte mobilisation, une règlementation démocratique et, il faut bien le reconnaître, des juges ouverts et compréhensifs... Mais cela ne saurait être suffisant pour gagner la guerre que nous devons poursuivre contre les monopoles des diverses multinationales qui façonnent notre vie sans que nous nous en rendions compte...

Pour aboutir à ce résultat, nous nous sommes organisé autour des universités, avec l'aide de diverses startups numériques et de nombreux étudiants pour construire de nouveaux logiciels permettant de communiquer librement, sans être écoutés, enregistrés, suivis ou conseillés (sans le vouloir)... Certains outils s'appuyant sur des anciens logiciels de P2P permettent de communiquer sans être lus ou écoutés par d'autres, grâce à des algorithmes de cryptage modifiés toutes les 5 minutes, et sans être enregistrés... les autres détruisent systématiquement les cookies ou les transforment de telle manière qu'ils ne peuvent plus être utilisés pour nous connaître nous suivre, nous surveiller, voire nous espionner.

Les outils de recherche créés à cette occasion ont utilisé les algorithmes de Google pour les recherches mais sans garder de trace des interrogateurs. La recherche était enregistrée pour aller plus vite à l'occasion de la recherche suivante, mais son auteur n'était pas marqué, il est devenu inconnu, nous permettant ainsi de rechercher des choses sur internet sans recevoir systématiquement des publicités ciblées dès que nous nous re-connectons... Nous sommes enfin un peu plus libres.

Cette mobilisation ne fut pas simple et facile à structurer, car tous les contacts pris au travers des principaux GAFAMs étaient soit censurés, soit détruits avant d'avoir des réponses et donc avant de pouvoir s'organiser... Systématiquement, en cherchant à mobiliser des acteurs partenaires via Facebook, Skype, WhatsApp, ou autres outils d'échanges oraux ou écrits, nous étions écoutés et nos messages étaient supprimés ou pire, modifiés, au nom de la lutte contre les pirates et les ennemis de l'internet conventionnel. Nous voulions développer un web humain, là où les outils conventionnels nous offraient des outils commerciaux tous structurés vers les intérêts des multinationales, nous avons dû mobiliser pour cela diverses méthodes traditionnelles qui ont encore montré leur efficacité, comme certaines presses écrites indépendantes et des réunions locales nous permettant de mobiliser sans être écoutés et surveillés. Pour aboutir à un niveau minimal de relations et de contacts permettant enfin de faire émerger ces nouveaux système indépendants, nous avons dû mobiliser par contact dans les universités et mobiliser les partenaires via des messages codés... Un travail de fourmis réalisé quasiment dans la clandestinité. Nombreuses furent les initiatives déconcentrées qui se sont mobilisées sur cette activité. Nombreuses furent les associations, les collectifs de colibris, les projets qui se sont mobilisés.

Après ces nombreuses luttes et ces procès retentissants qui ont fait perdre des milliards aux GAFAMs, nous avons l'impression de retrouver un web plus libre... Mon grand père, qui a commencé à travailler sur internet dans les années 1990, soit il y a plus de 60 ans, m'indique d'ailleurs qu'il a l'impression de retrouver l'internet qu'il a connu dans les années 2000 mais en beaucoup plus rapide et surtout beaucoup plus fourni en informations de diverses natures, sans se voir contraint de recevoir des publicités ou des conseils non attendus...

Grâce à ce nouveau web nous pouvons communiquer sans crainte d'être écouté, vivre sans être suivi, échanger des photos sans que celles-ci se retrouvent sur des sites ou des lieux inattendus, sans qu'elles soient utilisées à des fins imprévues. Nos recherches sur internet sont calmes et discrètes tout en nous apportant de nombreux résultats, et une fois que nous avons trouvé ce que nous cherchons, nous ne retrouvons plus ces sempiternelles publicités que nous proposait l'ordinateur sans qu'on les lui demande.

Par contre, nos mobilisations n'ont pas détruit "Big Data" ou "Big Brother", mais leur pouvoir fut en grande partie réduit, en étant obligé de s'éclater en de multiples lieux et structures, certes nécessairement connectées, mais économiquement et juridiquement séparées.

Pour des raisons de sécurité, nos emails sont certainement encore écoutés pour vérifier si certains mots clés ou certaines structures de phrases ou évocations dangereuses pour la société n'y seraient pas cachés, mais il ne semble plus y avoir d'utilisation commerciale ou manipulatoire de nos échanges, qui ne sont donc plus valorisés pour nous amener à être dans une norme économiquement intéressante pour les GAFAMs et autres multinationales.

L'exemple de ce qui s'est passé en Chine dans les années 2020 avaient fortement mobilisé les démocrates du monde "libre" qui ont pris conscience à la lecture de ce qui s'y passait, que les outils de surveillance "populaire" mis au point par les administrations chinoises, pouvaient être horriblement dangereux s'ils étaient dans les mains des GAFAMs. Par peur de la liberté politique offerte par les outils d'un web libre traversant les frontières, les administrations chinoises avaient mis au point des instruments de surveillance sociale et politique, qui allaient encore plus loin que les outils des GAFAMS dans la mémorisation et l'analyse des dits et des écrits sur le net chinois, permettant aux décideurs politiques de supprimer des accès bancaires ou d'annuler le passeport de chinois considérés comme hors norme. Cette norme étant défini par un Etat hyper-centralisé ayant défini le bonheur à offrir à sa vaste population... Un bonheur décrit et normalisé par les décideurs centraux, un bonheur totalement théorique imposé à tous les chinois et vérifié au travers des nombreuses écoutes du web et des datas chinois hyper-centralisés et interconnectés. Impossible de se soustraire à ces impératifs de vie et d'être ( ou de paraître)... Impossible de ne pas être vus dans la ville ou la campagne avec le nombre considérable de caméras enregistrant tout ce qui se passe dans leur environnement (près d'un milliard de caméras après 2020)... Impossible de ne pas être reconnu avec les outils de reconnaissance faciale implanté derrière ces caméras, toute personne est vue, reconnue, voir même entendue...  Impossible de se parler sans que ces paroles soient enregistrées centralement et analysées... Impossible de téléphoner sans être écouté ou enregistré et analysé... Impossible d'acheter quoique ce soit discrètement, tout étant payé par virement ou carte, tous paiements enregistrés et donc contrôlables et analysables... Impossible de se soigner discrètement, les datas de la sécurité sociale étant à disposition des analystes centraux, et au final, impossible de trouver du travail si on ne rentre pas dans la norme du bonheur défini par l'Etat, donc impossible de vivre et d'être soi même.

A la différence de la Chine où ces pratiques ce sont malheureusement maintenues en grande partie, notre vie en Europe et en Afrique s'est beaucoup amélioré depuis la perte de pouvoir des GAFAMs. Le web est redevenu beaucoup plus libre et nous pouvons nous y exprimer  sans contrôle et sans trop de surveillance. Il nous permet de mener de très nombreuses activités, sans trop de contrainte et ma foi, fort facilement :

  • ·        Dans les années 2020-30, en même temps que les GAFAMs et BATX continuaient à fortement se développer, les robots ont envahi nos territoires et nos maisons, supprimant drastiquement des millions d'emploi, mais nous donnant du temps libre qui a sans doute permis de se mobiliser pour plus de liberté numérique.
  • ·      Les réductions d'emplois dues à ces robots ont imposé la mise en place d'un salaire universel. Instauré depuis les années 2030, le salaire universel permet à tous d'avoir une vie plus simple avec un minimum vital assuré qui nous permet de vivre simplement, de nous former et de nous construire, nous permet de créer et de développer, nous permet de partager du temps vers des activités partagées et collaboratives. Cette instauration a d'ailleurs facilité nos mobilisations contre les GAFAMs en donnant à tous beaucoup plus de temps libre.
  • ·         Notre paye de fin de mois, nos recettes de ventes, notre retraite ou notre revenu universel sont maintenant directement transmis sur notre compte bancaire par le web et nous avons l'information immédiate sur notre téléphone et notre ordinateur, sous une forme structurée qui nous permet d'alimenter en temps réel notre système de gestion prévisionnelle de nos finances et donc de nos dépenses.
  • ·         Nous pouvons payer nos achats très simplement avec notre téléphone avec la garantie que cette transaction ne soit connue que de deux structures : le commerçant bénéficiaire de notre paiement et sa banque, et ma banque et moi même, car l'information transite par mon provider mais sans y être stockée. Dès que la banque bénéficiaire a confirmé le paiement, les informations de transaction ont été immédiatement supprimées des datas du provider.
  • ·         A chaque achat, notre banque nous confirme ce paiement en nous transmettant un message par sms ou email, qui, structuré particulièrement, nous permettent de suivre numériquement nos dépenses en temps réel. Ainsi, en fin de mois, nous pouvons visionner très facilement le bilan de nos dépenses et mettre de suite à jour notre prévisionnel financier pour les trois mois qui suivent.
  • ·         La quasi totalité des achats est effectué sur internet, à la suite d'une recherche sur le web, là encore, les transactions sont immédiatement supprimées dès que les retours (feedbacks informatiques) et confirmations sont diffusées. Ainsi les acteurs centraux de la vente ou les diffuseurs de produits ne peuvent plus s'acharner ou nous proposer des produits identiques ou d'autres produits "que d'autres internautes ont aussi commandés"
  • ·      Nous pouvons maintenant échanger totalement librement entre acteurs sociaux et du développement au travers de nombreux réseaux individualisés et reconnus, structurés autour des nouveaux outils développés, en sauvegardant nos données et nos échanges dans des dossiers privatifs situés dans le cloud, mais illisibles pour toute autre personne ou structure car cryptées et protégées par nos données biométriques dont les outils se sont énormément développés.
  • ·  Grâce à l'esprit collaboratif qui s'est fortement étendu dans nos luttes contre les multinationales et GAFAMs, les diverses initiatives de développement sont largement partagées, non seulement au travers de forums, comme traditionnellement, mais maintenant au travers de fichiers totalement partagés expliquant les modes de faire et savoirs faires. Ces fichiers collaboratifs du développement permettent de partager gratuitement des informations fondamentales. Ces informations sont échangées sous forme d'un troc, je prends car j'ai donné, et je donne pour pouvoir prendre.
  • ·        Les divers entrepreneurs peuvent bénéficier de réseaux de questions-réponses fonctionnant tant par le web que par le téléphone : un acteur ou un professionnel rencontre une difficulté et se pose une question... Il la pose sur un réseau d'appartenance par sms ou email, tous les membres du réseau reçoivent sa question (s'ils se sont inscrit à cette réception systématique) et peuvent répondre, et le niveau central du réseau devra, lui, analyser les réponses, en faire une synthèse et renvoyer une réponse collaborative à la personne qui avait questionné le réseau. Là aussi développement d'un système d'appui collaboratif s'appuyant sur le net.
  • ·        Cette activité collaborative d'échanges techniques ou culturels, construite de questions en réponses, fabrique des bases de données très riches en informations partagées et vérifiées. Ces informations sont sauvegardées dans divers réseaux contrôlés par leurs membres et sans liens avec les providers dont la seule et unique mission est de fournir le lien sans contrôle des échanges et sans sauvegarde des données échangées.


Un grand chemin a été parcouru, mais il reste tant à faire... La Chine et l'Inde ont mis au point des quantités d'outils de surveillance des populations s'appuyant sur l'Intelligence Artificielle et des gigantesques réseaux de caméras et d'écouteurs. Nous avons pu améliorer nos environnements numériques grâce à nos mobilisations, mais le danger de "Big Brother" est toujours là, éventuellement importé de Chine.

Un de mes espoirs est que le fantastique développement numérique de l'Afrique, qui s'est appuyé sur une réelle culture du partage et une assez grande empathie, pourrait contrebalancer les risques venant d'Asie.

Notre Monde est en fait à une croisée des chemins : L'hyper encadrement de la vie et le bonheur imposé de Chine, le "chacun pour soit", l'égoïsme et la financiarisation occidentale de toute vie, y compris animale, ou une certaine empathie africaine coexistant avec une assez grande désorganisation... Quel style de Monde allons nous prendre ?  Je pense finalement que la désorganisation africaine, est sans doute préférable, en permettant d'y créer sa propre vie avec moins de contrôles et d'impositions qu'en Asie ou en Occident.  


 


Auteur : Nico