La redécouverte du fleuve-côtier

La ville moderne a invisibilé le ruisseau par des ouvrages qui le couvrent, qui bétonnent son lit et le dévient. Déjà devenu une voie d'assainissement pour les industries, le ruisseau tombe dans l'oubli collectif. Dégradé, il est désormais vécu comme une souffrance pour des riveraines et riverains qui souhaitent qu'il reprenne sa place dans le paysage, la ville et le quotidien des populations. Avec l'arrivée de Christine Breton à la bibliothèque de Saint-André, le ruisseau reprend vie lors de marches patrimoniales.

"Penser avec les pieds", une expression de Christine Breton
Paragraphes écrits avec ses mots suite à une conversation téléphonique, juin 2021

A la fin des années 1980, Christine Breton, conservatrice honoraire du patrimoine et docteur en histoire, est mutée à la bibliothèque de Saint-André. Elle réussit à faire accepter l'idée d'un poste de conservateur expérimental, sur les 15ème et 16ème arrondissements de Marseille, sur la notion de patrimoine intégré. Cela revient à dire du patrimoine contextué. Ce qui compte n'est alors pas un château mais tout le contexte dans lequel il se trouve. S'ouvrent alors des dimensions conflictuelles de patrimoine, avec lesquelles apparaissent l'essence de la société.
C'est une notion définie par la convention de Faro, pilier de ce travail expérimental. Cette convention reconnaît aussi les communautés patrimoniales. Les habitants, constitués en communautés patrimoniales, peuvent désigner ce qui est patrimoine et ce qui ne l'est pas; ce ne sont plus les savoirs académiques et universitaires qui le désignent. Le patrimoine défini comme un bien commun pour tous.

Après un poste à hautes responsabilités à la ville de Marseille, la peur et l'isolement la saisissent. Elle déboule dans une zone vécue comme de "non loi", désertique et sans rien connaître à la culture du coin. Elle décide alors de passer sa vie à marcher, à arpenter dans tous les sens le territoire, à observer, à prendre le bus, à se diriger là dedans. "Nous n'avons pas de modèle ici et donc tout est à inventer, c'était la justification la meilleure" est l'idée qui naît avec sa démarche. Puis, s'écouter pour savoir que le modèle choisi est le bon car le sentiment que quelque est juste s'exprime en soi. Pour elle, "on pense avec les pieds" et c'est comme ça qu'elle a tout appris. Marcher ensemble est ce qu'elle propose alors aux habitants pour inventer des récits car c'est un moyen de se raconter, de raconter les autres et de se rencontrer. Il fallait réinventer les récits nationaux, ceux que l'on apprend à l'école car il y en a d'autres et ici la question a été "comment être ensemble?". C'est très différent des objets patrimoniaux traditionnels. Pendant toutes les marches partagées, la valse "savoir, espace, habitant" rythmait cette pratique pour rendre vivant les savoirs présents et les lieux. Elle dit que c'est un processus long du vivant et qu'elle est "en dette" de tout ce qu'elle a appris en 15 ans.

Partout où elle allait, Christine Breton créait des communautés pour se lier et créer du patrimoine. C'est dans cette dynamique qu'elle participe à concevoir la coopérative Hôtel du Nord , Réseau coopératif d’hôtes qui proposent l’hospitalité chez l’habitant et font connaître leurs patrimoines, des itinéraires patrimoniaux et des productions locales, ainsi que la communauté Les oiseaux de passage .

Pour Christine Breton, raconter le ruisseau signifiait l'envisager par son histoire industrielle. Après avoir été déchu à la fonction d'égout pendant la période la plus industrialisée de son histoire, il est encore entouré de centres de traitement de déchets. Mettre en regard et en poésie différentes époques, est une manière qu'elle apprécie pour raconter les lieux. Par exemple, le désert spirituel au temps des communautés herméneutiques isolées dans les grottes de tuf qui longent le ruisseau et le désert social avec le contexte des cités de logement.

Elle est l'auteure de 7 livres, les "Récits d'hospitalité" qui "renversent le point de vue sur la ville et prennent pour centre l’ensemble des quartiers septentrionaux de Marseille" pour citer l'éditrice des Editions commune qui participe par sa touche artistique à faire aussi de ces récits ce qu'ils sont.

La Convention de Faro dans 20 ans de récits à Marseille, intervention filmée de Christine Breton
La convention de Faro, texte intégral


La découverte du tronçon du ruisseau des Aygalades sur le site de la Cité des Arts de la Rue

L'histoire est racontée par Loïc Magnan, ancien secrétaire général de l'Association de Préfiguration pour la Cité des Arts de la Rue désormais dénommée l'Association pour la Cité des Arts de la Rue:

Fichier audio de 5 minutes:

La découverte à la Cité des Arts de la Rue.mp4 (4.5MB)


Le jardin de la cascade et le chantier d'insertion de la Cité des Arts de la Rue

Le jardin s'étale sur 2000m² le long du ruisseau des Aygalades. Après la découverte du ruisseau, tout était à faire pour mettre à disposition des riverains ce site. Le premier chantier d'aménagement a lieu en 2010. L'Addap 13, les ateliers de Révélations Urbaines et l'Association de préfiguration pour la cité des Arts de la Rue organisent une première opération avec un groupe de jeunes motivé.e.s. Défricher et nettoyer cet espace enseveli sous les gravats de la construction de l'autoroute, les ordures et la végétation ont été les premières actions effectuées. Grâce aux équipements élémentaires construits par leurs soins sur cette lancée, le jardin est "révélé" au public pour la première fois lors des journées européennes du patrimoine du 18 juin 2010. Il est ensuite traversé et revisité lors de marches patrimoniales avec les habitants. Petit à petit cet espace reprend vie et des liens recommencent à se tisser avec les populations.

Vidéo de présentation réalisée par le réseau Webtrotteurs des Quartiers, coordonné par l'association Urban Prod:

https://www.dailymotion.com/video/xhm0z9

A partir de 2016, l’Association pour la Cité des arts de la rue y développe un chantier d’insertion pour l’aménagement paysager et la construction de mobilier urbain afin de rendre à nouveau accessible au public ce lieu exceptionnel souillé par la pollution. L’action répond ainsi à deux besoins essentiels de la population urbaine : l’ouverture d’un nouvel espace public et la restauration d’un patrimoine naturel.

Afin de mener à bien ces objectifs, une action à la croisée de l'emploi, de l'artistique, de l'aménagement urbain et de la défense de l'environnement est créée.

En collaboration avec les ateliers Sud Side , l'équipe de cascadeurs fabriquent du mobilier pour le jardin et prennent part à la construction d'œuvres artistiques comme la Noria : machinerie poétique, politique et sonore imaginée par Alain Arraez et Matthieu Audejean, avec la participation de Christophe Modica (Faiseur de sons) pour la création sonore. Les ateliers spectaculaires Sud Side ont également créé pour le jardin, le Rhino-buvette, Organic le banc d'essai et Le mur rouge. Menuiserie et ferronnerie sont les pratiques de cette équipe d'artisans-concepteurs.

Chapeautés par l'équipe technique de l'ApCAR , les premiers cascadeur.ses ont façonné les berges : marches, esplanades, un sentier praticable, un gué pour traverser le ruisseau... Afin de rester accessible au public, un entretien régulier est nécessaire.

L'ApCAr met également en valeur le site avec des parcelles jardinées et défend la biodiversité en ville. En effet, ce site permet la continuité écologique pour les espèces animales et floristiques. Elle est une voie de circulation privilégiée dans une zone particulièrement bétonnée. Le ruisseau des Aygalades représente ce que le grenelle de l'environnement a appelé une trame turquoise .

Cependant, le contexte dans lequel il se trouve est très pollué. Aussi, la captation de sa source principale et la déviation des eaux qui alimentent les affluents, due à l'étalement urbain, engendrent une diminution importante du débit du cours. Des conséquences funèbres pour la faune et la flore en résultent. Le ruisseau des Aygalades reflète l'état dans lequel les êtres humains ont plongé le vivant. Cet esthétique est celui régulièrement montré au public : une cascade sans eau, des berges à la pollution apparente, des odeurs putrides qui émanent des eaux, la réalité du ruisseau. Pour donner à voir à nouveau la beauté d'une cascade et participer à essaimer la volonté de prendre son environnement en mains et l'espoir chez les visiteurs.ses ; l'association pour la Cité des Arts de la Rue demande à la ville de Marseille deux fois dans l'année d'alimenter la cascade par le réseau d'eau de la ville. Les eaux de la Durance coulent alors dans la Caravelle par le canal de Marseille lors des journées européennes du patrimoine en septembre et au mois de mai à l'occasion de l'événement "Rendez-vous au jardin".

Depuis, le chantier s'est agrandi. L'Association pour la Cité des Arts de la Rue accueille désormais 10 cascadeuses et cascadeurs pour prendre soin du jardin de la cascade et du site de la Cité des Arts de la Rue.
Un projet de renaturation est également en cours. Des plantes phyto-épuratrices ont récemment été plantées au bord du ruisseau.

Ci-dessous, le dossier complet de présentation du chantier d'insertion, mis en mots et en images en 2019 par l'APCAR.
Dossier_presentation_cascade2019.pdf (2.5MB)




Le collectif des gammares pour prendre soin du ruisseau tout le long de son cours

Dans la dynamique initiée par Christine Breton et les habitants, le collectif des Gammares rassemble les différentes énergies qui œuvrent à prendre soin du ruisseau Caravelle-Aygalades. Il a fallu le faire émerger de l'oubli et tisser des liens avec lui pour le réintégrer dans un patrimoine commun. Comment alors se le réapproprier? Comment lui redonner une place dans nos imaginaires collectifs? Comment prendre soin de ce ruisseau? Et d'autres questions suivent… Avec les savoirs disponibles et en sollicitant les autres, les réponses s'affinent. La communauté qui se crée autour du ruisseau permet de construire ensemble des moyens d'agir.

Après plusieurs années de travail en commun, le collectif des Gammares se crée en 2019. Un nom choisit comme une marque d'espoir. Cette petite crevette d'eau douce est une espèce bio-indicatrice .

Le collectif des Gammares est composé de riverain.e.s du ruisseau notamment via la coopérative Hôtel du Nord, des Comités d'Intérêt de Quartiers des Aygalades et de Saint-Antoine. Des collectifs d'artistes tels SAFI explore les conversations intimes entre les hommes et leur environnement par des expériences sensibles. Artistes plasticiens, ils s'expliquent aussi, des fois, comme des artistes marcheurs cueilleurs. Le Bureau des Guides arpente les sentiers du GR2013 et, spécifiquement autour du ruisseau, cultive l'art de la conversation pour habiter de nouveaux imaginaires. Producteurs, ils invitent régulièrement des artistes comme Geoffroy Mathieu, photographe, ou Alexandre Lucas, architecte et cartographe, à participer au projet. L'Association des Amis des Aygalades enquête sur l'histoire du quartier des Aygalades et fournissent un précieux savoir sur son passé. L'association Action Environnement Septèmes et Environs œuvre pour réduire les nuisances liées à la pollution. Avec le concours de l'Institut Méditerranéen de Biodiversité et d'Ecologie marine et continentale, des recensements d'espèces faunistiques et floristiques ont pu être effectués ainsi que des études sur la qualité des eaux et les pollutions présentes. Depuis le projet de la construction du parc de Bougainville, cet institut de l'université d'Aix-Marseille est en charge des questions biologiques. En effet, le ruisseau des Aygalades ne pourra être inclus dans ce parc que si son état écologique le permet. L'association pour la Cité des arts de la Rue, avec la participation des ateliers Sud Side, œuvre à la réhabilitation du jardin de la cascade pour le mettre à disposition des habitants tout en offrant un lieu d'éveil aux questions environnementales et artistiques. Afin de prendre en considération les différents enjeux et points de vue, le collectif des Gammares souhaitent rassembler les différentes entités qui côtoient le ruisseau. Le réseau d'entreprises Cap au Nord Entreprendre ainsi que le jardin-école Jardinot du jardin des cheminots se joignent également aux discussions et aux événements. Retrouvez ici les acteur.e.s.

Les actions du collectif se développent en 4 axes: décaler les représentations du ruisseau en agissant sur les imaginaires, connaître le ruisseau en collectant et partageant des connaissances , se relier autour d'actions communes et agir pour améliorer l'état écologique du ruisseau. Dans les premiers mois de 2021, une carte d'identité a été rédigée afin de donner une vue d'ensemble du collectif. Il se trouve en haut à droite de cette page et décrit les 4 axes de réflexion pré-cités. Ci-contre, le verso de la carte d'identité qui répertorient les différents moyens pour les mettre en œuvre. Vous pouvez découvrir nos actions et événements, dans les onglets de cette page . Et notre dossier de presse .

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