Tentative de définition courte des droits culturels


Cette complexe notion de "droits culturels" peut être, contre toute attente, facile à comprendre si on s'arrête tout simplement deux minutes sur chacun de ces trois termes "les"-"droits"-"culturels".

Commençons par la notion de "droits" au pluriel.

1/ Les droits culturels, ce sont donc d’abord... des droits.
Cela nous projette en premier lieu dans un registre juridique (en aillant bien sûr en tête que le droit n'est que la cristallisation de rapports sociaux et politiques à un moment T).
Pour préciser : nous sommes avant tout dans un registre juridique qui renvoie ici principalement à des textes et notions afférents aux droits fondamentaux de la personnes humaines : droits liés à la liberté d’expression, de création, droit de participer à la vie politique, droit au travail, droit à l’alimentation, droit au logement, droit à la santé, etc
Ces textes ont deux sources possibles :
D’une part, le droit international et notamment celui construit après la deuxième guerre mondiale au niveau de l’ONU (déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, Pacte des Nations Unies sur les droits sociaux, économiques et culturels de 1966 entre autres) mais aussi de l’UNESCO (par exemple la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005) ou encore du Conseil de l’Europe avec en 2005 la convention cadre sur la valeur du patrimoine culturel pour la société dite convention de Faro (toujours pas signée par la France, soit dit au passage)

D’autre part, le droit français, avec chronologiquement tout d’abord la loi NOTre -Nouvelle Organisation Territoriale de la République- et son fameux article 103 « la responsabilité en matière culturelle est exercée conjointement par les CT et l’État dans le respect des droits culturels énoncés par la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005 »
Depuis la notion de « droits culturels » a, à nouveau, été inscrite dans la loi française mais via des législations concernant spécifiquement le champ du ministère de la Culture : la loi LCAP, etc

Donc ce concept « droits culturels » renvoie d’abord à un corpus juridique, c’est-à-dire à une série de plusieurs textes dissiminés et c’est en raison de cet éparpillement qu’en 2007 un groupe d’universitaire et de représentant d’ONG ont écrit ensemble les 12 courts articles qui constituent la déclaration de Fribourg qui résume et subsume cet ensemble de droits fondamentaux sans lequel finalement il est assez illusoire de parler de libertés, d’égalités

Ainsi le but des droits culturels est simple : répondre à une nécessité qui est de garantir la dignité humaine, concept très proche de la dignité des identités culturelles car ce qui fait ma dignité c’est bien ce qui constitue mon identité : un ensemble de ressources, de références, de repères, d'éléments de construction de "mon moi parmi d'autres". Et c’est cela, cette possibilité d'égale dignité dans ce qui constitue nos identités culturelles qui doit être au coeur des relations sociales... Des relations sociales régies par la loi et des règles édictées pour pouvoir vivre ensemble tout simplement.

Cela permet de toucher du doigt, un point essentiel : parler des droits culturels c’est évoquer un processus de pacification des rapports sociaux


2/ Le deuxième point essentiel pour bien appréhender les « droits culturels » c’est de comprendrece à quoi renvoie l’adjectif qualificatif « culturel » ( (et attention, "WARNING !" car il y a là de nombreux contresens)
L’article 2A de la déclaration de Fribourg précise les choses et permet de se rendre compte que, contrairement à des réflexes français, ce qualificatif « culture » ne se limite pas là à l’étroit périmètre des champs d’expression artistique rassemblée en France par le Ministère du même nom le Ministère de LA Culture
(cela renvoie à la définition très simple que donner JC Wallach, « l’art c’est la chose, la culture c’est la relation à la chose »)

L’approche est ici beaucoup plus large puisque la culture ce n’est pas que l’art, c’est globalement tout ce qui permet de composer une façon singulière et sociale d’être au monde

Ce sont les beaux arts comme la cuisine !
La littérature comme le sport !
l’architecture et le mode d’habitat comme le cinéma !
les arts plastiques ou le patrimoine comme les langues, etc...

En somme, tout ce qui peut développer et renforcer les capacités, les capabilités et donc les droits, libertés et responsabilités.
Cette approche implique des postures et ces postures induisent un certain rapport à l’altérité : l’autre n’est pas d’abord définit par ses besoins, ses manques éventuels, des vides qu’il faudrait combler… Il est plutôt vu à partir de ces ressources et de ses richesses… Ressources et richesses qui permettent création et construction.


Avec deux minutes de plus, je m’arrêterai sur le troisième mot « les »… les droits culturels.
Cela permettrait d’insister sur le lien entre ces droits, pluriels, et sur le fait, qu’étant reliés, articulés les uns aux autres, interdépendants, ils forment un bloc.
De la même manière que les droits de l’homme sont universels, indivisibles et interdépendants, les droits culturels forment un ensemble cohérent pour s’opposer à des dynamiques de ségragations, d’inégalités, de discriminations.

L’un des nœuds, mais on pourra y revenir, est la dialectique peu évidente entre la logique universelle (donc unifiante) ou encore portée par la conception de la République vue comme « une et indivisible » pour reprendre l’article 1 de la Constitution d’un côté. Et de l’autre côté, la manière dont les droits culturels invitent à penser la diversité culturelle dans une optique formulée par la Déclaration de l’UNESCO 2005 sur la diversité culturelle affirmant que « la diversité est un patrimoine commun de l’humanité et elle doit être reconnue et affirmée au bénéfice des générations présentes et des générations futures »

Mais laissons-là cette question, trop difficile à traiter en deux minutes pour revenir sur un objectif de cette conception au pluriel des droits culturels : le but est que tous ces droits se renforcent. Les droits liés à la liberté d’expression, de création, droit de participer à la vie politique, droit au travail, droit à l’alimentation, droit au logement, droit à la santé, etc
Peut-être ce qui est un peu difficile à comprendre c’est que les droits culturels désignent une démarche visant à relier et donc renforcer ces droits
Et en même temps, les droits culturels permettent également de parler de la dimension culturelle de tous ces autres droits. Par exemple, le droit à la santé pose la question de savoir ce qu’est une bonne santé et donc une bonne medecine… Et les réponses ne sont pas toujours exactement les mêmes selon les culture, donc la santé et le droit à la santé sont bien une construction culturelle.
Les implications sont importantes car si la santé est une construction culturelle, les autres composantes de la vie en société aussi, l’économie par exemple est également une construction culturelle! Et donc la vision dominante exprimée dans le droit de l’économie n’est qu’une vision parmi d’autres possibles et il peut y avoir d’autres approches moins centrées sur le dogme du marché.

Permettre à l’individu d’exercer ces droits, c’est lui permettre d’évoluer et on touche là un autre point crucial pour comprendre les droits culturels : ils permettent d’éviter d’assigner une personne à une de ses identités. Les droits culturels désignent des ressources qui alimentent des processus permanent de construction d’identité, tout au long de la vie de la petite enfance, à la vieillesse
Ne pas réduire, figers les gens dans une identité cela peut avoir des répercussions très concrètes sur la manière de concevoir l’hospitalité dans le lieu dont on s’occupe, comment accueille-t-on ? Voici l’exemple de question pratique mais qui pose des sujets de fond.

Ainsi, il ne s’agit pas seulement de théoriser ou de penser abstraitement les droits culturels, ils s’agit de les mettre en pratique, de les réaliser. Or c’est leur concrétisation qui permet un fort effet de levier sur la réalisation des droits de l’Homme. Autrement dit, pour nous, les droits culturels sont un instrument intéressant pour ceux qui ne se contentent pas d’être dans « le pays des droits de l’homme » et qui voudraient davantage être dans le pays de la réalisation des droits de l’homme.