Toujours d'actualité !

"J’appréhende la rentrée, le retour à l’anormal. Car la situation reste anormale. Pendant une grande partie de l’été nous avons vu fleurir les prédictions hasardeuses : l’épidémie était terminée, il n’y aurait pas de deuxième phase, d’ailleurs avait-elle réellement existé hors des réactions disproportionnées de politiques affolés et de médecins coupables d’entretenir la panique ? Des experts autoproclamés sont venus expliquer que c’était fini, qu’il fallait maintenant se reprendre et aller faire la teuf pour montrer au virus que «même pas peur». Les Agences régionales de santé, tétanisées au début de la crise, ont fermé les centres Covid, diminué les moyens alloués au personnel soignant, considéré que la doxa économiste pouvait reprendre le dessus.

Et même dans le camp de la relative prudence, certains ont fondu les plombs. J’ai ainsi pu entendre le professeur Eric Caumes, de la Salpêtrière, comme dépassé par la vague des révisionnistes du Covid, énoncer que finalement laisser le virus diffuser largement en population jeune n’était pas une mauvaise idée. Le spectre de l’immunité collective chère à Boris Johnson resurgissait. A condition, rajoutaient ses adeptes, que ces jeunes n’entrent pas en contact avec les classes d’âge supérieures, plus fragiles. Inventer des modélisations en s’affranchissant du réel n’est jamais une bonne idée. S’ils se contaminent, les jeunes contamineront leurs parents et leurs grands-parents. Ce qui semble se produire actuellement, à retardement. Les personnes âgées, dont peu se soucient, ont continué à se protéger, à se confiner pour certaines. Mais on ne se protège pas, ou pas autant, avec ses proches, ses petits-enfants. Dans cette configuration, se sentir ou se rêver immortel peut avoir de graves conséquences pour nos anciens.

Pour l’instant (j’insiste sur ce «pour l’instant»), la majorité des cas recensés semble de moindre gravité qu’en mars. Certains ont aussitôt affirmé, en contradiction avec les données les plus récentes, que c’était lié à une mutation virale, qui aurait rendu celui-ci moins agressif (65 millions de virologues en France savent aujourd’hui que tuer rapidement son hôte est une erreur stratégique pour un virus qui cherche à disséminer largement). Il me semble que l’explication est différente : l’introduction des mesures barrières, même imparfaites, la distanciation, le port des masques, l’aération des lieux clos, jouent très probablement pour diminuer les expositions au virus, et l’inhalation de doses virales plus faibles pourrait expliquer, d’après des publications récentes, cette deuxième phase apparemment moins mortifère dans les pays qui pratiquent les mesures barrières, même imparfaitement.

La situation n’est donc pas catastrophique, mais tout l’été il a fallu aux soignants impliqués alerter, interpeller l’Etat, pour accélérer la mise en place de mesures barrières. Demander le port du masque en lieu clos. L’obtenir uniquement dans les ceux qui reçoivent du public. Avec dans un premier temps un délai de latence incompréhensible de quinze jours, ramené rapidement à deux jours tant cet attentisme était incohérent. Alors qu’alertés par des salariés inquiets nous expliquions que le virus ne se comportait pas différemment dans une supérette et dans un open space, et que le port du masque devait être aussi conseillé au sein des entreprises, des guignols de plateau sont alors venus insister pour rendre obligatoire le port du masque en toutes circonstances, y compris à l’extérieur, et même dans les zones non peuplées. Cette mesure inutile, aberrante, a certes permis aux pouvoirs publics pendant quelques semaines de ne pas traiter la question de la protection des salariés au travail, mais elle a eu comme corollaire une poussée du mouvement antimasque, arguant de son ineptie pour affirmer que le masque était inutile et son port liberticide.

Après avoir prédit que le Sars-CoV -2 tuerait moins que les accidents de trottinette, que deux médicaments potentiellement cardiotoxiques étaient la clé du traitement de «l’infection respiratoire la plus facile à soigner du monde», qu’il n’y aurait plus de cas cet été, Didier Raoult est réapparu dans les médias pour asséner qu’il n’existait pas de contamination par voie aérienne. Le grand professeur microbiologiste que le monde entier, de Trump à Bolsonaro, nous envie, après avoir passé six mois à se lisser la barbe et à tripoter son visage sur tous les plateaux télé, nous annonçait doctement que la contamination se faisant par les mains, le port du masque était une mesure ridicule. Dans la foulée, Bernard-Henri Lévy se hissait sur les pointes pour fustiger un virus qui l’avait pendant quelques mois éloigné des écrans : «Le rebond n’est pas celui de la maladie mais de la peur.» Dans le même temps, le bourgeois gentilhomme découvrait la notion de malade asymptomatique : «Molière a inventé le malade imaginaire. Voici venu le temps du malade sans le savoir, c’est-à-dire asymptomatique et d’autant plus dangereux, voire coupable, qu’il est malade sans l’être. Absurdité médicale. Forfait moral et politique. Crime contre l’esprit.» Rien que ça.
Dissiper le nuage viral

Septembre se profile. Sous la pression des soignants et des salariés, les mesures de protection sont en passe d’être adoptées en entreprise. Reste l’épineuse question de la rentrée scolaire, et des amphithéâtres bondés des facultés…

J’appréhende la rentrée. Parce que les soignants sont sonnés, et pour beaucoup désabusés. Parce que tenir sur la distance va être d’autant plus difficile, que le mépris affiché des politiques, passée la période des applaudissements, a laissé des traces : primes Covid distribuées au compte-gouttes, reniements et mensonges à répétition, et Santé publique France et la direction générale de la santé rivalisant d’absurdités – la première structure publiant un document dans lequel elle s’étonne que les soignants n’aient pas systématiquement porté de masque en début d’épidémie, la seconde prévenant les médecins qu’il était de leur responsabilité de s’équiper en moyens de protection cet automne.

En février, Agnès Buzyn se félicitait d’avoir placardé des affichettes dans les aéroports français. Aujourd’hui, nos affiches de prévention, nos messages radiophoniques, n’ont pas changé depuis le début de l’épidémie. Nous sommes toujours incités à éternuer dans notre coude, à utiliser des mouchoirs jetables, mais aucun organisme de santé publique ne porte un message aussi simple que ce conseil accessible à un enfant : «Vivez les fenêtres ouvertes.» Aérer naturellement la pièce dans laquelle vous vivez, la pièce dans laquelle vous travaillez, diminue le risque de contamination par aérosolisation, par inhalation de particules virales en suspens excrétées par une personne infectée. Dans un lieu clos, le virus reste en suspension dans l’air. Aérer, créer des courants d’air, c’est dissiper ce nuage viral, éviter la contamination. Comment se fait-il qu’à la fin du mois d’août, huit mois après le début de l’épidémie, ce message qui ne peut être qualifié de liberticide soit encore ignoré de beaucoup de nos concitoyens ?"